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Le murmure du rocher

Ronald ouvre la porte de la maisonnette qui laisse échapper un léger sifflement quand l'air s'engouffre entre les épais joints de caoutchouc. Il est essoufflé de sa course avec Wilhelm. Rien que d'y repenser, un léger sourire vient flotter sur ses lèvres tachées de soleil. Pour rien au monde, il n'échangerait cette portion de temps qui s'écoule entre la fin de l'école et le retour à la maison. Cette parenthèse protège leur monde secret, un monde dont les règles n'ont rien à voir avec celles des adultes. Ni même avec celles des autres enfants de l'école communautaire. C'est leur....comment disait-il déjà ? Leur jardin secret, l'endroit où poussent les plus beaux rêves, ceux qu'on fait quand on est enfant. Oh, cela ne dure pas longtemps, à peine quelques poignées de minutes. Mais les minutes à cet âge s'écoulent à un rythme différent.

Il pend à une patère le chapeau à larges bords et ses lunettes anti-UV qu'il nettoiera plus tard. Ca peut attendre. Il a faim et c'est l'heure du goûter. Il délace ses brodequins qu'il place dans le pédiluve dont il règle rapidement le rhéostat au niveau intermédiaire. Puis il s'extirpe de la longue cape anti-poussière aux fermetures électrostatiques. Il la défroisse en la tenant fermement par le col. Sa mère n'est pas encore rentrée des serres communautaires mais elle examinera de près toutes ces choses. Ronald ne comprend pas encore leur signification même s'il en discerne le vague contour. Enfin, il déverrouille la porte intérieure qui s'efface dans l'épaisseur de la paroi. Il est chez lui, à la maison. Avec un soupir de contentement, il se retrouve dans la pénombre rafraîchissante qui règne sous le dôme familial.

Toujours pieds nus, il se hâte vers la salle d'hygiène en longeant la courbure du mur. C'est la première chose à faire quand on vient du dehors. Il se déshabille complètement, enfourne ses vêtements dans le recycleur et se place sous la poire de douche, les deux mains sur la plaque sensitive scellée dans la paroi devant lui. Aussitôt, une brume humide l'enveloppe, diffusée par les minuscules bouches disposées sur les rampes chromées qui ont glissé du plafond. Il ferme les paupières en grimaçant. Sa mère ne cesse de lui répéter que cela ne pique pas les yeux, que les produits sont fiables et hypoallergéniques dorénavant, qu'ils sentent même bon, lavande, citron, groseille. Il n'en a cure. Il se rappelle cette sensation de brûlure ressentie lorsqu'une bouffée poisseuse avait perlé en plein dans son oeil droit ! Ca pique. En tous cas, les jets s'éteignent au bout de trois minutes. Il est propre et aseptisé. Il aurait bien envie de prendre une vraie douche, avec de la vraie eau, celle qui éclabousse et qui ruisselle, celle qui fait des drôles de gouttes sur sa peau, des gouttes qui font la course entre elles...Mais ce n'est pas le bon jour. La machine ne lui permettra pas aujourd'hui.

Un souffle d'air tiède finit par le sécher. Oh, il n'y a pas beaucoup de travail. Il est vite sec. Ses cheveux dans la grande glace sont propres aussi, coupés courts. La brosse est à la mode. Il ouvre l'armoire à pharmacie et prend le flacon bleu. Il renverse la tête vers l'arrière et délicatement, dépose une goutte dans chaque conduit lacrymal. Ensuite, il se brosse les dents avec le nouveau gel protecteur et se gargarise la gorge avec une solution aqueuse. C'est fini pour aujourd'hui. Non, mince, il allait les oublier. Avec une pince adaptée, il extirpe les petites capsules de ses narines et de ses oreilles et les jette dans l'incinérateur domestique. Il aurait dû faire ça avant de se doucher! Péché véniel. Il ne dira rien à sa mère. Avec un peu de chance, elle ne visionnera pas les rushes quotidiens. Elle l'a déjà fait hier et avant-hier. Son quota de contrôles internes domestiques hebdomadaires est réalisé.

Bon, le goûter. Il se dirige vers la cuisine. La luminosité est soyeuse, la lumière aveuglante de l'extérieur est habilement piégée et adoucie par les couches polymérisées de la dalle transparente, étroite et profonde. Une pénombre boisée et apaisante s'accorde parfaitement avec les tons pastels et végétaux de l'ameublement de la pièce. Il trouve tous les ingrédients d'un goûter réussi dans le bahut de stockage alimentaire : crème de chocolat, petits pains croustillants, flocons d'avoine et brique de lait. Rien que leur vue le fait saliver. Il attend que la résistance chauffe les petits pains blancs et moelleux avant de les tartiner de chocolat épais et onctueux. Juste à temps pour que le lait soit redevenu liquide et à bonne température. Il fait pleuvoir dans le grand bol une pluie de flocons plats et sucrés. Il adore entendre le crissement des pétales qui se gonflent au contact du beau liquide blanc. Là, le monde pourrait finir d'agoniser autour de lui, comme le prédisent inlassablement les mercures des infos, il n'en a rien à faire. Il ferme les yeux pour sentir le goût du chocolat flatter son palais. Que peut-on attendre de plus ? Là-bas, dans le sud, ils se tuent pour le porridge de la banque alimentaire. Les anglais n'en sont toujours pas revenus qu'on ait pu associer leur plat traditionnel, leur fameuse bouillie d'avoine, avec la pâte vaguement aromatisée conditionnée en tubes de plastique grossier.

D'un revers de manche, Ronald essuie ses moustaches laiteuses. C'est trop bon ! Il jette un coup d'oeil sur l'un des cadrans qui parsèment la cuisine comme autant de fleurs luminescentes. Tous affichent les chiffres du temps qui passe. A croire que les hommes essaient de se convaincre qu'il leur en reste beaucoup devant eux en multipliant les mesures. Mais pour Ronald, c'est l'heure de ses devoirs. Un mauvais moment à passer.

Il passe de la cuisine à sa chambre en empruntant à nouveau le couloir ceinturant le dôme central dont les pièces périphériques ne sont que des excroissances. La maison est toute en rondeurs afin de limiter au maximum la signature énergétique. Les coefficients tolérés par les normes européennes sont revus chaque année à la baisse. Il le faut bien, le soleil devient de plus en plus violent, creusant la terre et la peau de ses rayons sans pitié. La terre et la peau. C'est ce qu'essaie de protéger l'Office de coordination écologique planétaire. C'est tout ce qui reste d'ailleurs à protéger. La terre et la peau.

Sa chambre est à l'image de toutes celles des enfants de son âge : un lit étroit, un bloc média dans un coin, un placard plus ou moins rangé et un plan de travail où trônent les holographies à la mode. Il a encore oublié de commuter le réseau en économie d'énergie ce matin. Sa mère va s'en apercevoir dans les relevés hebdomadaires de consommation. Ca va barder. Elle le punira, c'est sûr, en lui retirant la maîtrise énergétique de sa chambre pour rendre la main au système domotique centralisé. Bref, il va dégringoler de l'échelle sociale domestique. Un bébé énergétique. La honte ! C'est pire que s'il refaisait pipi au lit. Et si quelqu'un l'apprenait ? A dix ans, on est susceptible sur ce genre de choses. Il faut qu'il trouve une solution. En parler à son père. Oui, en parler à son père avant vendredi, avant la publication des RHC. Il trouvera un moyen, il lui sauve toujours la mise. Quelque part, il sait que ses parents font de gros efforts pour limiter leur traîne énergétique : les taxes et les impôts écologiques augmentent chaque année. Il faut faire de plus en plus attention.

C'est ce que dit aussi le Père Anton, le dimanche, lors de la messe dans l'église gorienne des derniers jours. Dans son sermon dominical, il exhorte ses fidèles à plus de modération énergétique. Il brosse le tableau habituel de l'apocalypse écologique, cette Bête immonde qui s'approche de l'homme, peu à peu. Ronald fréquente régulièrement l'office. Il fixe de ses yeux candides les grands vitraux où se livre en tableaux naïfs le combat éternel des hommes contre le gaspillage des ressources naturelles. Le père Anton n'est pas un de ses acharnés qui prédisent la fin du monde pour demain. Non, mais il martèle, sermon après sermon, que l'Apocalypse signifiait, dans une langue oubliée, l'enlèvement du voile. Toute chose mourrait alors. Il dit alors que l'ozonosphère, c'est le voile de la Terre. Un voile qui la protège des terribles rayons ultraviolets. Sans lui, la vie n'est plus possible. Anton a toujours fasciné Ronald. Ses sourcils épais et broussailleux, ses longs cheveux blancs repoussés en arrière, son costume sombre et ce col droit et rigide si caractéristique des prêtres de l'Eglise Gorienne, fermé par une broche dorée, un A et un G entrelacés.

Et quand Anton brandit un doigt menaçant, Ronald lève les yeux vers l'immense visage qui lui sourit du haut du ciel. C'est celui du révéré saint qui étend sa bonté et sa clairvoyance sans limite sur la petite congrégation. Ronald pourrait dessiner par coeur ce visage carré et volontaire, ces traits si waspiens. Il fut chassé par son propre peuple et fut contraint de prendre le chemin de l'exil. Le porteur de mauvaises nouvelles est toujours mal vu. Il a tort celui qui a raison avant tous les autres. Il fut le premier à conjurer ses semblables de prendre conscience des dangers d'une industrialisation effrénée et incontrôlée. L'église de Rome et les autres dogmes religieux n'ont pu endiguer l'essor inespéré des fidèles. Ronald n'a pas connu ces temps glorieux où les fanions argent et azur flottaient sur toutes les grandes places des capitales du monde, entourés par les forces de sécurité et les chars lanceurs d'eau. Lanceurs d'eau ! Ronald ne peut imaginer cette scène. Oh, il a bien sûr vu les images d'archives aux infos ou à l'occasion des cérémonies de commémoration. Mais de l'eau gaspillée ainsi, par tonnes entières ! L'énormité du péché lui noue à chaque fois l'estomac. Tant d'eau gaspillée.

Il déplie lentement une petite surface tactile souple, froissée en boule sur le coin du bureau. Il suit d'un doigt distrait un motif de commande imprimé dans le tissu. Une voix neutre s'élève dans la petite pièce, une voix agréable à entendre malgré quelques syllabes qui chuintent un peu, métalliques. C'était un bon modèle, il y a cinq ans. Ses parents le lui ont offert au début de l'année scolaire et Ronald a vite remarqué que c'était une occasion. Mais bon, il remplit sans faiblir son office et c'est tout ce qu'on lui demande.

" Le sujet du devoir d'aujourd'hui est le suivant : Il a deux lits mais ne dort jamais. Plus on s'approche de lui, plus il est grand. Veuillez noter que cet exercice comptera pour la moyenne du trimestre en géographie. Il est à rendre demain. Le support et le format sont libres. Pour réentendre le sujet, appuyez sur RET ".

Ronald est un bon élève, assidu et consciencieux. Quand il sera grand, il veut partir explorer les étoiles. Ici bas, il n'y a déjà plus vraiment d'espoir. Tout le monde le dit. Il faut que l'humanité se libère de cette attraction terrestre comme les premiers organismes se sont libérés du milieu aquatique vers la fin de l'Ordovicien. Ronald vit déjà dans les étoiles. Il possède une impressionnante collection de documents ramenés par les missions scientifiques d'exploration. Il s'imagine en pilote de navette, prêt à tout risquer pour trouver la voie entre les astéroïdes menaçants. Il se voit en pionnier, creusant le roc étranger avec les engins de forage fabuleux pour parvenir à la veine du métal rare et sauver la Terre. Mais le plus souvent, il rêve d'être à la tête d'une section d'intervention et de protection, où, devant ses hommes, il exposera sa vie pour défendre la colonie menacée par des créatures malfaisantes. C'est comme ça qu'on rêve quand on a dix ans et que le soleil darde cruellement ses rayons sur ce coin du Rheingau.

" Ronald ? Ronald ? T'es là ? "

La voix de Wilhelm le fait un peu sursauter, plongé qu'il est dans une bataille épique au bord d'un trou noir.
" Oui, Wilhelm. Qu'est-ce que tu me veux ? demande Ronald assez sèchement.
- Alphy nous attend à l'endroit habituel. Il pourrait nous aider pour le devoir! "
- Il est revenu ? "

Ronald est parcouru d'un délicieux frisson. Il est grisant de braver les interdits. Surtout quand on a dix ans. Alphy et Wilhelm sont ses seuls vrais amis. C'est ce qu'Alphy leur a dit. C'est comme ça qu'il s'appelle. Alphy. Il leur a avoué en rigolant que son vrai nom était moins...fun. Alphy c'est aussi bien. Il est gentil Alphy. Il leur raconte de belles histoires. La seule chose qu'il leur ait jamais demandée, c'est de ne parler de lui à personne. Ils ont juré et tenu parole. Personne au sein de la petite communauté n'a semblé s'apercevoir de ce visiteur surnuméraire qui ne s'est jamais inscrit sur le grand livre de la mairie pour obtenir un code barre temporaire.

" Il sait la réponse au devoir ?
- Mieux, bien mieux, il nous promet bien plus que la simple réponse ! "

Ronald ne peut s'empêcher de murmurer. Pourtant, il sait que les enregistreurs domestiques ont une oreille mille fois plus fine que la sienne. Un million de fois plus fine. Ils pourraient presque entendre ce qu'il pense, c'est dire !

" C'est bon, j'arrive mais c'est pas marrant. Je me suis déjà mis en mode intérieur moi ! "

C'est vrai. Il devra recommencer toute la procédure. En plus, ça va coûter de l'énergie. Un petit peu. Mais bon, il est décidé à rejoindre son copain. Il regarde l'horloge. Sa mère va rentrer dans moins d'une heure. Son père sera retenu comme toujours plus longtemps au service de la communauté. Il file récupérer les quatre capsules filtrantes puis se précipite vers l'entrée. Il enfile ses brodequins, clippe la cape sur ses épaules et se coiffe du chapeau à larges bords. Il est prêt à sortir.

Lorsqu'il referme la porte extérieure, le sifflement de l'air est comme amorti par l'atmosphère sèche et lourde. Un gros soleil tente de se coucher au-delà des collines, un soleil congestionné qui teinte le ciel d'une lueur rougeâtre. La journée a été chaude et dangereuse. Une journée rouge selon l'indice Dobson. Les ultraviolets tombent droit du soleil, à peine freinés par la couche d'ozone stratosphérique. Les immenses toiles tendues en orbite basse ont fait ce qu'elles ont pu pour réfléchir les traits invisibles mais la technologie est encore trop neuve pour être parfaitement efficace. D'où l'utilité de l'équipement individuel. Car la petite communauté refuse d'appliquer les directives européennes qui interdisent toute sortie hors des bulles en de pareilles circonstances. Elle brave les menaces de représailles financières et médicales du Parlement régional de Mayence, au nom du vieux principe de subsidiarité.

Malgré cette farouche autonomie, nul ne s'aventure dans les ruelles étroites. Les mâts surchargés de caméras et de sondes diverses forment un réseau dense où le moindre atome de poussière est analysé. Les maisons Ash-Kueu font le dos rond, serrées les unes contre les autres autour de l'église gorienne dont la vertigineuse flèche nargue le ciel.

Le village est blotti au creux d'une boucle de la profonde vallée encadrée par les hautes collines du Rheingau qui dominent les alentours, arides et crevassées. Il faut avoir de bons yeux pour remarquer les structures basses, à demi-enterrées qui abritent les serres hydroponiques à environnement contrôlé. Des techniques sophistiquées permettent à la communauté d'exporter une partie de la production sur les marchés intermédiaires, assurant une certaine prospérité.

A quelque distance, les squelettes des immeubles éventrés de la ville abandonnée ressemblent à de grands dinosaures pétrifiés d'effroi, leurs poutrelles métalliques mises à nu escaladent vainement un ciel inaccessible. Les fenêtres béantes, accrochant les derniers feux rougeoyants du soleil couchant, pleurent des larmes de sang. Le crépuscule talonne le jour qui s'enfuit alors que les ombres noient déjà en partie le fond pierreux de la vallée. Du chemin qui serpente à mi-pente, les enfants entendent la plainte solitaire du ruisseau qui cherche avec peine son chemin entre les bancs de sable. A la sortie du village, Ronald retrouve Wilhelm, petit fantôme immobile.

Alphy les attend plus bas, en aval, assis sur un bloc de schiste noir dissimulé derrière un bosquet d'arbustes rabougris. C'est leur rendez-vous secret. Alphy semble perdu dans ses pensées, le menton reposant au creux de sa main, un coude sur le genou. Ronald est toujours impressionné par sa haute stature, ses longs cheveux sombres retombant souplement sur ses épaules, sa carrure musculeuse et ses mains puissantes. Mais ce qui le rend incomparable, vraiment différent, c'est la sagesse infinie qui se lit sur son visage, qui brille au fond de ses yeux, qui se dégage du large front encadré par des boucles rebelles et dans cette voix chaude et chantante qui filtre au travers d'une profonde barbe où se devinent des lèvres charnues et sensibles. Nulle part ailleurs, il n'a croisé d'êtres comme lui. Alphy lui rappelle ces statues qu'il a vues sur le réseau communautaire, sculptées dans une pierre lisse et blanche. Une sorte de noblesse distante et surnaturelle. De nos jours, les hommes sont plus sveltes et moins grands...moins de calories à brûler donc moins de signature énergétique...évidemment.

Wilhelm est le meilleur ami de Ronald, depuis la crèche communautaire. Ils sont plus proches que des frères. Ils partagent la même passion pour les choses anciennes et démodées, les musiques apportées par le vent ou la poussière, les voix qui résonnent le long des contreforts pierreux, les vieilles légendes que ne chuchote même plus la sorcière du placard. Ils ne sont pas nés à la bonne époque, comme hantés par des souvenirs ataviques. Leurs questions restent souvent sans réponse. Devant la mine de plus en plus inquiète de leurs parents, ils ont prudemment dissimulé leur étrange curiosité.

Ils n'aiment pas trop les jeux traditionnels auxquels se livrent les garçons de leur âge. Surtout celui du Rempart où les enfants sont répartis en deux camps. Les uns protègent une petite éminence de la furie des autres, les monstres qui veulent s'emparer du drapeau du paisible royaume. Forcément tous veulent être les Défenseurs, si impatients d'imiter leurs aînés, appelés sur le rempart de la forteresse Europe. Wilhelm et Ronald roulent souvent au bas du talus, puisque les monstres ne peuvent pas vaincre les valeureux défenseurs du Rempart.

Alors ils ont imaginé un monde à eux, un monde peuplé de mythes et de personnages extraordinaires, un monde dans le vrai monde. Ils y ont crû si fort qu'ils n'ont pas été étonnés de voir apparaître Alphy, un jour blanc, car ils ont l'âge qui oscille entre enfance et adolescence. Une sorte de respiration suspendue, comme un automne tardif sur les montagnes de la forêt noire. C'est le temps de tous les possibles qui façonne à jamais l'âme des hommes.

Alphy se redresse à leur approche.

" Bonsoir mes amis. Je suis heureux que vous ayez pu me rejoindre. Ce soir est un soir magique. Vous voyez, les étoiles sont parfaitement alignées ! "

Il leur montre, le bras tendu vers la voûte céleste, les étoiles qui clignotent doucement. Le ciel est d'une limpidité surprenante et d'une profondeur étonnante. Ronald connaît les étoiles, puisque c'est là qu'il veut aller. Leurs noms ont des parfums d'aventure et de quête épique : Proxima du Centaure, Rigil et Sirius, Canopus et Arcturus, Véga ou Bételgeuse, la géante rouge. Oui, il sait lire une carte du ciel, sur un hologramme ou sur un écran mais pas dehors, en levant la tête. La nuit, aucune étoile ne parvient à franchir l'épaisse couche de pollution. Ronald n'en croit pas ses yeux. Elles sont toutes là, posées sur un ciel sans limite. A ses côtés, Wilhelm est également interdit. C'est tout simplement impossible.

Alphy, comprenant leur émotion, leur dit alors tout bas, étendant un bras droit vers la voûte céleste :

" Suivez mon doigt et regardez bien. Là-bas vers le sud, un homme se tient debout dans le ciel. Le voyez-vous ? Que fait-il ? "

Les deux amis plissent leurs paupières, sentant peu à peu leur âme s'évader de ce monde, fuir la gravité, s'envoler sur les ailes des légendes. Leur corps ne fait plus qu'un avec les sphères célestes, découvrant une réalité écrite depuis des millénaires en lettres brillantes sur la soie bleutée du ciel nocturne.

" Ca y est, je le vois. Mais que fait-il ? Il verse de l'eau? Oui, c'est ça, je le vois verser de l'eau...une eau scintillante qui cascade dans les plis du ciel ! S'exclame Ronald. Tu le vois aussi ?

-Je crois...je le vois...oui, je le vois maintenant, comment ne pas le voir! répond Wilhelm tout excité.

-C'est ça. C'est bien ! Reprend Alphy. Il est là depuis si longtemps. Vos ancêtres, Grecs, Romains, Arabes, l'avaient déjà découvert. Ils l'ont baptisé Verseau. Voyez-vous les deux filets d'étoiles. Ils se déversent de l'amphore qu'il tient fermement. L'eau dévale le ciel dans la bouche ouverte du Poisson Austral, cette étoile brillante qui s'appelle Formalhaut. Là naît la vie et la grâce. C'est la corne d'abondance cosmique, d'où s'écoulent le lait et le miel. Certains l'appellent le Paradis, d'autres le Bonheur du Royaume. C'est la promesse écrite dans la course des constellations, la promesse d'un temps béni où la Terre deviendra un jardin de délices. Maintenant observez, observez bien, car le moment est arrivé !

-C'est curieux. Les étoiles ne bougent pas mais leur éclat semble vaciller, remarque Ronald. Leur éclat faiblit. Je parviens de moins en moins à les distinguer. On dirait que la source se tarit, de l'amphore ne coule plus qu'un filet d'eau. Pourquoi ? Que se passe-t-il ?

-Oui, le moment est arrivé, poursuit Alphy. Celui indiqué par le premier point du bélier, ce point appelé aussi point vernal...

-Je sais, le coupe Ronald. J'ai appris ça. Le point vernal est un point de la sphère céleste où l'équateur et l'écliptique se croisent. Dans notre hémisphère, cela intervient lors de l'équinoxe de printemps. C'est-à-dire demain...

-Effectivement, reprend Alphy. Demain, dans quelques poignées de minutes, ce point atteindra précisément le centre de cette portion du ciel. L'humanité entrera alors véritablement dans l'ère du Verseau. Mais ce qui était promis ne sera pas. L'eau disparaît, tant sur la Terre que dans ciel. Voyez, l'amphore est vide à présent. Tout a été gaspillé. L'eau ne coule plus. Toutes les belles choses vont disparaître avec elle.

-Qu'est-ce que cela veut dire ? Wilhelm le tire par la manche. Qu'est ce que cela veut dire ?

-Les Dieux des Eaux quittent ce monde devenu étranger. Définitivement étranger. A vos pieds, juste en bas, il y a de nombreuses années, coulait un fleuve puissant et majestueux, qui a inspiré de nombreuses légendes. Dans le courant impétueux gisait un véritable trésor. Pas de l'or ou des gemmes, pas des diamants ou des saphirs. Non, un trésor bien plus grand, défendu par une nymphe à la beauté surhumaine. Lorsqu'elle se dressait, sous la lune, ses cheveux d'or ruisselaient sur ses épaules dénudées. Oui, elle était belle comme l'aurore d'un jour heureux et son chant envoûtait les preux et les bateliers, jetant oubli et confusion dans leur esprit. Leurs navires étaient précipités contre le rocher où, après avoir été disloqués, ils s'enfonçaient dans un traître tourbillon, happés pour ne plus jamais reparaître, emportant sous les eaux leurs malheureux équipages. Et nuit après nuit, son chant s'élevait doux et tentateur, sur cette terre rhénane, jusqu'à l'aube.

-C'est la Loreley dont tu parles, n'est-ce pas ? demande Wilhelm. J'ai lu des trucs sur sa légende.

-Des trucs...des trucs...proteste Alphy. Tu fais injure à sa beauté que tant de poètes ont louée. Ecoute et souviens-toi d'elle :

Là-haut, des nymphes la plus belle,
Assise, rêve encore;
Sa main, où la bague étincelle,
Peigne ses cheveux d'or.

Le peigne est magique. Elle chante,
Timbre étrange et vainqueur,
Tremblez fuyez! la voix touchante
Ensorcelle le coeur.

Dans sa barque, l'homme qui passe,
Pris d'un soudain transport,
Sans le voir, les yeux dans l´espace,
Vient sur l'écueil de mort.

L'écueil brise, le gouffre enserre,
La nacelle est noyée,
Et voila le mal que peut faire
Loreley sur son rocher

Alphy reprend :

" Mais ce n'est pas son seul nom. Elle en a eu beaucoup. Celui qu'elle préfère, c'est Sigurdrifa, la walkyrie. Tous se souviennent d'elle comme d'une sirène qui attirait les hommes vers la mort. Mais ce n'est pas sa fonction première. En fait, c'est la Gardienne d'un Pont. D'un pont merveilleux qui relie la Terre à l'étoile du Verseau. Le Pont de l'Arc en Ciel, le Bifrost des légendes nordiques. Ce Pont franchit les abîmes célestes jusqu'à Formalhaut, jusqu'à la plaine immortelle où s'élève Asgard, la citadelle des Dieux. Et seule la Loreley peut ouvrir le passage comme elle le fera cette nuit pour que les Dieux des Eaux puissent regagner la citadelle du ciel. Car il n'y aura pas d'ère du Verseau.

-Alors tu es un Dieu ? Demande Ronald, presque mal à l'aise de prononcer une telle énormité.

-Un dieu...oui, sans doute, même si cette notion est par trop étriquée. Mon véritable nom est Alphée. Je suis le seigneur d'un fleuve qui coulait en Elide, une région actuellement désertique qui s'étend au pied des murailles Est de votre Europe. Jadis, les Dieux avaient établi là quelques unes de leurs demeures. Mon père était l'Océan, ma mère, la déesse Téthys. J'étais jeune et fort, comme le monde de l'époque.

-Les Dieux n'existent pas ! Tu nous fais marcher, ricane nerveusement Wilhelm, qui ne veut pas rendre les armes aussi vite que Ronald. Il n'y a rien derrière la Muraille, surtout à l'Est. Un no man's land. Et après, l'Empire Ottoman qui nous assiège vainement. Notre armée garde la frontière. Nul ne passe. Tu es un vieux fou Alphy. Un puits de science mais un vieux fou. De là à te prendre pour un dieu, il y a un pas ! "

Alphy contemple les étoiles, comme pour essayer d'y retrouver une autre disposition des astres, plus ancienne :

-Un jour, une nymphe vint se baigner dans mon lit. Elle appartenait à Artémis, la déesse de la chasse. Belle comme l'aurore, elle avait les hommes en détestation. Mais sans le vouloir, sans le savoir, elle captura mon coeur indéfectiblement. Quand je me présentais devant elle sous l'apparence d'un valeureux chasseur, la nymphe, effrayée, s'enfuit dans les bois. Je la poursuivis sans relâche si bien que sa maîtresse, sur ses supplications, la transforma en source très loin, sur l'île d'Ortygie en Sicile. Alors j'ai plongé sous la mer pour émerger sur cette île où finalement, j'ai mêlé mes eaux à celles de la fontaine qu'était devenu mon amour. Les temps passèrent et le climat changea. Les saisons s'effacèrent et les eaux refluèrent, jusqu'à ce que le tunnel sous la mer, reliant l'Elide à la Sicile, fut emporté à son tour. Je perdis tout. Mais cette nuit, elle sera dans la procession qui franchira le pont. Nous partirons ensemble pour le dernier voyage.

-Des torches. Des torches s'avancent vers nous ! Avertit Ronald "

Sous les yeux ébahis des deux jeunes garçons, l'ancien lit du Rhin se couvre d'une multitude de points lumineux tremblotants. Aucune alarme ne se déclenche, pas le moindre projecteur ne troue la nuit de sa lumière aveuglante, aucune tour de sécurité ne passe en mode de défense automatique. Juste le silence et une multitude qui s'avance. Les premiers rangs parviennent à leur hauteur. Alphée s'est redressé, ses vieux vêtements rejetés en arrière, il apparaît alors formidable et immense. Le Dieu s'est enfin découvert. C'est magique et tragique.

" Ils arrivent mes vieux compagnons, pour emprunter le Pont. Regardez, aux premiers rangs se tiennent tous mes frères, Acheloos et Inachos, Asope et Cephise, Ladon et Méandre, Pénée et Scamandre. Tous quittent cette Terre inhospitalière. Derrière eux, venant de l'antique Sumer, ne reconnaissez-vous pas Enki, aux quarante visages et Nanshe, sa fille, la déesse des sources, au corps de chèvre à la queue de poisson. De l'Inde, il y a Varuna qui chevauche un poisson, et Indra, armé d'un éclair. Il pleure car il a perdu son combat contre Vritra, sa vieille ennemie, la sécheresse. Du Japon, Owatatsurni le seigneur des océans s'avance le premier, suivi d'Akitsu Hime qui contrôle la surface des mers et de Susanô-ô, le kami impétueux de la tempête. ".

Les deux garçons sont stupéfaits. Le cortège fantomatique progresse lentement au milieu du lit desséché. Les torches brûlent d'un éclat rougeoyant, dissipant sans peine l'obscurité de la nuit. Le visage des Dieux est empreint d'une tristesse infinie. Ils ne regardent ni à droite ni à gauche, vêtus selon la coutume du pays où ils avaient élu domicile.

Alphée reprend :

" Il y en a tant. Je ne pourrai pas tous les compter. Je vois encore Tlaloc, le Dieu aztèque de la pluie, suivi des divinités du plus mystique des grands fleuves, le Nil. Il y a Satis, la gardienne des sources qui enlace Hâpy, ni homme ni femme, car l'homme est eau et la femme est terre. Khnoum, le bélier protecteur, le maître de la crue fertile, se tient aux côtés de Sobek, le crocodile qui a porté le soleil sur son dos, le maître de l'eau. J'arrête là car mon coeur se brise de chagrin à assister impuissant à l'évanescence de toute la magie de ce monde en une seule nuit, Tous rejoignent le Pont.

Seul l'espoir qu'Aréthuse sera bientôt là m'empêche de courir les rejoindre! A la suite des grands Dieux se presse l'immense foule des esprits et des divinités mineurs. Les naïades, qui ont fui leurs demeures, les sources et les fontaines, les Néréides aux cheveux entremêlés de perles, chevauchant dauphins et hippocampes. Plus loin, en rangs serrés, voici les trois mille Océanides, protectrices des points d'eau et des jeunes garçons. Derrière elles dansent les Apsaräs, les nymphes célestes nées d'une mer de lait. Elles sont aussi nombreuses que les vagues de l'Océan. Maîtresses des arts anciens du plaisir, les Dieux eux-mêmes recherchent leur compagnie. Non, n'ayez crainte de ces cobras à tête humaine, ils ne sont que des Nagas, des esprits bienfaiteurs des eaux. "

Minuit passe. Les torches s'éloignent vers l'aval, vers le nord, vers l'éperon rocheux couronné de la pâle clarté de la pleine lune. Un rai de lumière spectrale, fil argenté, s'élève soudain du rocher pour rejoindre à travers l'éther l'astre de la nuit.

" Cela commence ! La voix d'Alphée vibre intensément. Cela commence. Il faut nous presser. Le Pont ne restera pas ouvert très longtemps. Suivez-moi ! "

Il entraîne les deux garçons, les tenant fermement. Ils progressent vite, suivant le cortège divin en contrebas. Ils ont l'impression que leurs pieds ne touchent presque pas le sol. Ils sont comme portés par un souffle enchanté. La course folle prend fin lorsque, sur l'autre berge, se dresse l'éperon rocheux, le rocher de la Loreley qui s'élève majestueusement au-dessus de leurs têtes, les dominant vertigineusement.

L'air est étonnamment pur et limpide et Ronald n'a aucun mal à distinguer la blonde apparition qui se tient debout au sommet. Un souvenir tente de se frayer un chemin dans sa mémoire profonde. Le temps lui-même hésite, étirant longuement chaque intervalle. Comme un rêveur trop longtemps assoupi, l'ancien fleuve se réveille et s'ébroue. Une curieuse sensation d'humilité envahit les deux enfants, si minuscules au pied du géant de schiste. Ils n'en croient leurs pauvres yeux quand le mascaret déferle soudain entre les rives du fleuve, précédé par deux coursiers d'une blancheur immaculée et couronnés d'écume.

Alphée étend son bras, saluant la terre qui s'ouvre pour laisser passer l'eau et son peuple. Il rit à gorge déployée, s'enivrant de l'humidité qui les enveloppe. Le rocher se dresse à plus de cent trente mètres au-dessus des flots qui se déchaînent, écrasant la campagne rhénane alentour. Auréolée de ses cheveux blonds, la nymphe invoque les étoiles. La prière millénaire s'élève, ample mélopée, mêlant des rugosités barbares à la grâce aérienne de voyelles allongées. C'est une prière qui monte du fond des âges. La Loreley s'affaisse sur ses genoux, la taille cruellement cambrée en arrière, sa tête frôlant le sol. Le chant devient cri, un cri terrible, inhumain, qui ne faiblit pas. C'est un cri primal qui puise sa force aux sources telluriques de ce monde, celles-là même qui enfantèrent les volcans. Ce cri la consume de l'intérieur, c'est le prix que paient toutes les sirènes. Nul ne peut résister à cette note primaire qui hante les cauchemars des musiciens maudits. Nul salut pour ceux qui sont emportés par ce malstrom organique.

Le Rhin est redevenu le fleuve des légendes, par l'unique volonté d'une blonde walkyrie. Au pied du rocher, au milieu du fleuve rugissant, se forme l'antique tourbillon qui enfante l'Arc-en-ciel, prodigieuse colonne de lumière, pulsant régulièrement comme la respiration de l'univers lui-même. Une par une, les divinités s'engagent dans le poudroiement des couleurs pour ne plus jamais reparaître.

Alphée se penche vers les deux garçons pétrifiés :

" Loreley. Son nom est formé par deux mots issus d'anciens langages. Le premier, "loren" signifiait bruissement ou murmure. Le second, "ley" était utilisé pour désigner familièrement le schiste ou la pierre. Nous nous tenons sur la partie la plus étroite de l'ancienne vallée du Rhin et là où l'ancien fleuve était le plus profond aussi. Il y avait à cet endroit, bien avant les clameurs métalliques du trafic, un écho saisissant qui amplifiait la douce chanson d'une petite cascade au point que les riverains et les mariniers ont soutenu que le grand rocher murmurait. Mais vous avez entendu, n'est-ce pas? Elle s'adresse directement à votre...disons âme pour aller plus vite. Vous êtes nés pour accomplir ce que le chant a réveillé au plus profond de vos gènes. Je vais vous raconter une dernière histoire. Il faut se dépêcher car le temps presse à présent. Cela vient de l'Est. Très vite.

Ce monde fut créé par douze des plus grandes déesses. Celles-ci désiraient un lieu dans l'univers où règneraient l'amour et la beauté. Elles travaillèrent longtemps et lorsqu'elles terminèrent leur grand oeuvre, une fête somptueuse fut organisée dans le plus beau palais des Dieux. Les douze déesses rayonnaient, la Terre avait l'éclat du plus beau joyau de l'univers. Pourtant, alors que la fête battait son plein, leur petite soeur, la treizième déesse, blessée d'avoir été ainsi oubliée, étendit ses blanches ailes pour former l'ultime voeu qui allait sceller le destin de la Terre et de tous ses habitants. Elle offrit le Temps, c'est-à-dire l'éphémère et les regrets, l'oubli et les remords, le cycle de la vie et de la mort.

L'ére du Verseau ne sera pas. Les Puissances de l'Eau regagnent les étoiles. De noirs oiseaux du chaos arrivent de l'Est, trop haut dans le ciel pour vos guetteurs sur les Remparts, trop rapides pour être interceptés, trop furtifs pour être même détectés. L'ère du Capricorne est encore si loin, plus de 3.000 ans à l'attendre. Ces trente siècles seront un âge de profondes ténèbres. Mais vous deux, vous donnerez naissance à deux lignées qui conserveront un fragile espoir. Le chant a subtilement modifié une infime partie de votre séquence génétique. Vos enfants, les enfants de vos enfants et leurs enfants après eux, seront les gardiens de cette petite flamme. Le jour où la Terre renaîtra de ses cendres est d'ores et déjà écrit dans les étoiles. "

Alphée se tourne vers Wilhelm :

" Au bout du chemin millénaire, ta lointaine descendante sera la fille du Dernier Roi de l'Ouest, dont le château assiégé, sera entouré par d'innombrables flammes. Ce Château se dressera aux confins de la Terre de l'Ouest, adossé au désert vitrifié hanté par des créatures abominables. La lande sera dévastée par les hordes d'envahisseurs. Les derniers défenseurs résisteront avec vaillance et détermination, repoussant, vague après vague, les assauts des terribles barbares. Mais leur nombre se réduira dramatiquement. Le siège ne saurait durer longtemps. Dorwoeschen, ta fille, se tiendra souvent au sommet de la plus haute tour de la citadelle, regardant, au-delà des remparts, la plaine obscurcie par les fumées des brasiers. La fin sera toute proche. Alors, le grand magicien, le conseiller intime du monarque, en désespoir de cause, invoquera le plus puissant des sorts, le Sort du Dernier Sommeil. Dans un éclair de puissance pure, tout s'immobilisera tandis qu'un long sommeil d'hiver s'étendra sur ce royaume. "

Alphée continue en regardant Ronald :

" De nombreuses années s'écouleront avant que ne se lève le jour où ton descendant, Sigurd, aura le courage de s'approcher de ces lieux maudits, une lande désertique où rien ne poussera, où les vents du Nord hurleront lugubrement sur les créneaux et dans les salles vides d'un grand château abandonné. Mais lui seul, Sigurd, animé d'une volonté hors du commun, osera s'avancer vers son destin. Il affrontera de nombreux dangers, qu'il surmontera avec bravoure, pour pénétrer enfin dans la salle silencieuse de la plus haute tour où repose Dorwoeschen endormie. Les assauts du Temps n'auront pu altérer sa beauté légendaire. Cette rencontre marquera le réveil des Royaumes de l'Ouest. Mais ceci est déjà une autre histoire !"

Alphée secoue les épaules :

" Il est temps de partir à présent, je vois mon Amour qui m'attend sur le pont. Adieu mes amis, nous nous reverrons de l'autre côté, bien après la fin ! "

Il leur passe la main dans leur courte tignasse et s'éloigne vers l'arc en ciel qui naît au pied du Rocher pour se perdre dans le ciel étoilé. Le Dieu semble flotter au-dessus des flots tumultueux. Ronald distingue près du tourbillon d'où s'élance le pont, une jeune femme vêtue d'une robe claire, dont les longs cheveux sombres flottent librement dans le vent violent. Tous les autres sont déjà partis. Alphée la rejoint et ils tombent dans les bras l'un de l'autre. Alphée se retourne enfin vers les deux enfants pour leur faire un dernier salut. Puis, enlaçant Aréthuse, il disparaît avec elle dans le chatoiement des couleurs de l'arc-en-ciel. .

Les deux enfants rebroussent rapidement chemin vers le village. Ils ne peuvent ni voir ni entendre les oiseaux du chaos s'approcher en vol serré du coeur de la Citadelle. L'ère du Verseau se referme tandis que dans leur dos, le Rocher ne murmure plus.

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Publication : 05 novembre 2007
Dernière modification : 09 novembre 2007


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4 Commentaires :

Maedhros Ecrire à Maedhros 
le 21-12-2007 à 13h04
Réponses en vrac...
Pour Estellanara,

Le principe de subsidiarité, c'est un principe d'organisation politique ou administrative selon lequel on prend soin de ne pas faire à un niveau plus élevé ce qui peut l'être avec autant d'efficacité à une échelle plus faible, c'est-à-dire la recherche du niveau pertinent d'action publique.

Waspien : comme tu l'as pressenti, cela vient bien de WASP (white anglo-saxon prote...

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Estellanara Ecrire à Estellanara 
le 12-12-2007 à 12h35
Post-apo écolo
L’ambiance SF est habilement posée avec les détails des vêtements du môme. On devine un monde sur-pollué où les gens doivent se protéger et économiser soigneusement les ressources naturelles devenues rares. Pfiou, il y a même des caméras dans la salle de bain ! Je comprends pourquoi tu as eu le grenelle de l’environnement ! Complètement d’actualité comme sujet… hélas.
Tout cela est joliment prése...

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Elemmirë Ecrire à Elemmirë 
le 17-11-2007 à 20h31
Je me demande...
...combien de temps tu passes pour chaque texte, enfermé au fond d'une bibliothèque ou scotché sur Google? Un coup c'est la mythologie, un autre c'est le maquillage féminin, un autre... C'est toujours tr§s cultivé sans être prétentieux, c'est futuriste tout en restant humain, c'est scientifique tout en s'adressant aux émotions. La preuve que tu progresses? Je n'arrivais pas à finir la lecture de...

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Narwa Roquen Ecrire à Narwa Roquen 
le 08-11-2007 à 19h40
Délicate alchimie...
Jamais tout à fait le même, et pourtant que tu te ressembles ! Tu as le chic pour associer les contraires et faire chanter les différences…
Voilà un très subtil mélange de mythologies diverses et d’anticipation glacialement plausible – ou peut-être devrais-je dire torridement , mais ça fait quand même froid dans le dos. J’ai apprécié tous les détails techniques, extrêmement convaincants, et que j...

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